DÉCRYPTAGE

Gender fluid, quand la non-binarité se donne un genre

Le terme gender fluid a peu à peu fleuri dans les médias, mais qu’en est-il vraiment ? Se narguant de militantisme, les marques de mode font main-basse sur ce mouvement et semblent décidées à en faire un véritable argument commercial. Faisons le point sur ce terme qui brouille les pistes.

Une tendance intemporelle ?

Gender fluid, no gender, agender, genderless, neutral gender… Le nombre de termes utilisés pour parler de ce mouvement atteste de sa complexité.
Là où la binarité est de se sentir appartenir profondément au sexe opposé, les adeptes du gender fluid, prennent l’identité comme un jeu, passant d’un genre à l’autre.

Si ce terme semble novateur, le mouvement n’est pourtant pas récent. Dans les années 80, David Bowie et Indochine usaient déjà d’archétypes non-genrés et inspiraient toute une génération à être elle-même.
Il y a quelques années, des créateurs de mode lançaient leurs collections en ce sens. Les jupes pour hommes de Gaultier, le style garçonne de Coco Chanel et les tailleurs mixtes de Calvin Klein mettaient en avant un style vestimentaire transposable d’un sexe à l’autre.
Cette tendance connaît aujourd’hui un second souffle médiatique grâce à la pop-culture. Véritables porte-drapeaux du mouvement, certaines célébrités telles que Lomepal, Chris, Young Thug ou encore Stromae incarnent des idéaux de self-expression, menant l’opposition de genres à la désuétude.

                              Fig. 1 – Logo du Gender Fluid

La volonté d’une jeune génération

D’après les sociologues, cette tendance correspond à une génération ayant grandi avec l’affirmation du mouvement LGBT, où égalité et abolition des clivages sont les fers de lance. Cette même génération connaît les dérives liées aux comportements d’exclusion envers des personnes n’entrant pas dans les normes sociales.
Selon un sondage d’Opinion Way, 74% des 13-20 ans considèrent que le genre ne définit plus une personne. La génération Z représentée par les 15-24 ans ne veut plus se sentir limitée dans ses choix et prône une liberté d’individualisation. 20% des gens affirment ne pas se reconnaître dans un seul genre et veulent créer leur propre identité.
Sommes-nous face à une révolution culturelle ? Les sociologues affirment qu’il ne s’agit pas d’une mode, mais d’une lame de fond partie pour durer.

Le secteur de la mode est révélateur de ces signaux faibles. Les individus gender fluid prônent l’expression individuelle, l’aisance avec leur corps et leurs vêtements. Le défi des marques n’est plus d’habiller un sexe, mais un être-humain libre de ne pas avoir d’identité définie.
Traditionnellement axées sur le genre, les marques revoient leur copie. Les stratégies de communication sont habituellement basées sur un message publicitaire binaire. Mais cela  est remis en cause par les consommateurs qui souhaitent moins de stigmatisations.

Le label parisien Avoc a présenté des défilés où hommes et femmes portaient les mêmes vêtements. Leur but est de proposer des pièces sans identité afin que chacun puisse se les approprier.
Si les marques s’engouffrent dans cette brèche, ce n’est pas que par pur militantisme. Proposer de l’unisexe revêt un avantage commercial indéniable. Une seule collection, des frais de conception réduit, une image de marque jeune et dans l’air du temps. Les marques brouillent les pistes, ne revendiquant pas toujours leur positionnement gender fluid, elles préfèrent mettre en avant quelques collections neutres.

Pour les marques grand public, ce virage est encore difficile à prendre. Comme leur communication, la plus grande partie des collections restent ancrées dans un style genré et manquent finalement de crédibilité envers cette tendance.

C’est le cas de Zara qui avait sorti en 2016, une collection sous le nom d’”Ungenred”. Face aux critiques virulentes des clients, accusant la marque d’opportunisme et d’un manque de prise de risque, Zara a dû retirer les vêtements de la vente.

Fig. 2 – Gender Bread

Du gender fluid, oui, mais pas trop…

Les marques de mode tentent par tous les moyens de se frayer un chemin dans cette tendance. Mais les consommateurs ne sont pas dupes et n’attendent pas d’une marque qu’elle leur propose ce qu’ils pourraient déjà trouver seul pour forger leur propre identité. Les marques de prêt-à-porter commercialisent plutôt des collections neutres visant à faire disparaître les codes de genres. Puis, renverser l’opposition mode féminine et mode masculine, au point de ne proposer aucune innovation. Fortement inspirées du streetwear, les collections reprennent surtout les codes masculins. L’industrie ne fait que transposer l’usage habituel des femmes qui est de piocher dans la garde-robe masculine pour agrémenter leur look. Le vestiaire féminin a toujours emprunté au vestiaire masculin, mais l’inverse est très peu vrai, est-on alors vraiment dans une mixité des genres ?

Un avenir mitigé

À force de gommer les différences entre les genres homme et femme, on peut constater qu’une uniformisation de la mode est en marche vers la standardisation de vêtements pratiques et qui vont à tout le monde. Mais à force de vouloir faire de ce mode de vie une tendance, les marques ne joueraient-elles pas un rôle d’ancrage d’un nouveau genre ? Autrement-dit, n’est-ce pas une nouvelle case dans laquelle les individus souhaitant être tendances devraient entrer à tout prix ?

Sources :

Fig. 1 – Logo Gender Fluid https://aminoapps.com/c/lgbt-france/page/item/genderfluide/6xVw_XVtYIWPVDpjoPaBLLxzmaedNwz0pYt2

Fig. 2 – Gender Bread : https://www.genderbread.org/

https://www.airofmelty.fr/les-marques-passent-en-mode-gender-fluid-pour-repondre-aux-nouvelles-attentes-de-la-generation-z-a671958.html

https://www.ladn.eu/entreprises-innovantes/case-study/gender-fluid-marques-sy-mettent/?utm_source=newsletter_ladn&utm_medium=email&utm_campaign=news_ladn&utm_content=20190205

https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/usages-par-genre/generation-gender-fluid-travail/

https://www.ladn.eu/entreprises-innovantes/parole-expert/theorie-du-genre-gender-marketing-semanciper-des-cliches/

https://www.appearhere.fr/inspire/blog/mode-et-cosmetique-unisexe-pourquoi-les-marques-font-elles-ce-pari

http://faispasgenre.fr/2019/01/28/regne-de-binarite-genres-sacheve-monde-de-mode/

© PEREZ Sandra – TASU Anaïs

Gender fluid, quand la non-binarité se donne un genre
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